Isabelle Bretthauer, docteur en histoire médiévale, postdoctorante HaStec 2013-2014 et Chargée d’Études Documentaires aux Archives Nationales, Anna Caiozzo, professeur des Universités à l’Université Bordeaux Montaigne et François Rivière, docteur en histoire médiévale, postdoctorant HaStec 2018-2019 et ATER à l’université d’Évry-Val d’Essonne, présentent ici le résultat d’un projet pluridisciplinaire réunissant histoire, histoire de l’art et littérature.
Résumé
Jusqu’où les pratiques de l’écrit se sont-elles professionnalisées au Moyen Âge et à l’époque moderne ? La fonction sociale des scribes ou copistes est souvent symboliquement liée aux textes sacrés, en Occident comme en Orient. Mais la transmission des savoirs par l’écriture déborde le cadre religieux pour s’insinuer progressivement dans une multitude de milieux sociaux. La maîtrise de l’« écrit » (au sens d’acte d’écriture et d’action sur la matérialité de l’écrit) n’apparaît cependant comme centrale que dans quelques métiers (notaires, maîtres d’écriture, transmetteurs…), tandis que, pour de nombreuses autres activités, cette compétence reste longtemps secondaire, sans reconnaissance sociale particulière.
Dans une perspective comparatiste, les 20 contributions traitent d’un large espace, de la chrétienté occidentale aux cultures musulmanes et juives du Proche-Orient, et jusqu’au Levant. Les figures d’« écrivants » apparaissent diverses et souvent à cheval sur plusieurs métiers : transmetteurs (râwiya) ou traducteurs insérés dans la République des Lettres, maîtres soufis ou poètes populaires, prisonniers ou artisans, mais aussi relieurs, peintres ou enlumineurs. L’approche comparatiste fait alors émerger des mouvements généraux, autour de l’évolution des modalités de transmission des textes : l’écrit ne supplante pas l’oralité mais dialogue avec elle dans nombre de métiers jusqu’à l’époque moderne ; les transmetteurs ou traducteurs affirment leur importance dans la « création culturelle » ; les représentations figurées sont parties prenantes d’œuvres textuelles. De ce fait, le rôle de ces métiers peut-il être, dans les approches historiques et littéraires contemporaines, encore repoussé dans les marges ?
Sommaire
Introduction p. 13
Brigitte FOULON : Le passage de l’écrit à l’oral. Le grand transmetteur (rāwiya), un maillon essentiel entre oralité et mise à l’écrit de la littérature arabe p. 27
Daphné RABEUF : L’écrit comme trace d’un patrimoine oral commun : l’exemple d’un recueil de contes arabes anonymes des XIIIe/XIVe siècles p. 47
Jean-Charles DUCÈNE : Le copiste et la dictée dans le monde arabe médiéval p. 65
Harit JOSHI : Rapporter les paroles du maître : les malfūẓāt dans le sultanat de Delhi p. 79
Jean-Dominique DELLE LUCHE : Les « maîtres de la batte » : poésie de circonstance et concours de tir dans le Saint-Empire au XVIe siècle p. 93
Marc ZUILI : Le métier de traducteur à la Renaissance : le cas de Gabriel Chappuys p. 121
Francoise RICHER-ROSSI : Le traducteur : ce qu’en dit le paratexte. De l’espagnol à l’italien. Enjeux conceptuels et idéologiques dans la Venise du XVIe siècle. p. 143
Fabien SIMON : Jean Baudoin, écrivain de l’intermédiaire p. 165
XIAOHONG Li : La naissance du calligraphe p. 195
Jose COSTA : Scribes, traducteurs et transmetteurs : rabbins et juifs entre écriture et oralité dans le contexte antique p. 205
Anna CAIOZZO : Un paradoxe visuel ? Le scribe et le peintre à la marge dans les manuscrits de l’Orient médiéval p. 233
Nourane BEN AZZOUNA : Une source exceptionnelle pour l’histoire de l’écrit : Ibn al-Fuwaṭī et son Talkhīṣ Majmaʿ al-ādāb p. 255
François RIVIÈRE : Des artisans aux marges de la littératie : les gardes des métiers, un office de l’écrit en Normandie, XIVe-XVIe siècles p. 277
Philippe FAURE : L’écrivain et le peintre dans la miniature médiévale p. 317
Tiziana LEUCCI : L’écrit à la marge et les écrivaines « marginalisées » : le cas des courtisanes artistes en Inde p. 333
Francis RICHARD : La marge face au texte, quelques notes p. 363
Isabelle BRETTHAUER : Produire l’écrit et après ? Le travail autour des documents écrits à la Chambre des comptes (XIVe-XVe siècles) p. 369
Jean-Charles COULON : Écrire et figurer le cosmos : l’emploi des figures dans les manuscrits de sciences occultes islamiques attribués à al-Būnī (m. 1225) p. 397
Jean-Pierre JARDIN : L’arbre de l’évêque Le programme iconographique de l’Anacephaleosis et sa réalisation p. 423
Anne-Colombe LAUNOIS : Une œuvre au noir, signature d’un peintre méconnu de l’école sikhe de Patiala (Panjab, Inde du Nord), XVIIIe-XIXe siècles p.439