Date : mardi 17 novembre 2020 – 14:00
L’art du briquetier, XVIe-XIXe siècles. Du régime de la pratique au régime de la technique
Cyril LACHEZE soutiendra sa thèse de doctorat préparée sous la direction de Mme Anne-Françoise GARCON
Laboratoire IHMC (Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine)
Détail de la Soutenance de thèse
Résumé
Les différents acteurs de la société ne conçoivent pas tous une même technique de la même façon. L’artisan, le savant, l’ingénieur, mais aussi l’investisseur, l’administrateur ou le client, font appel à des topiques de pensées différentes, faisant cohabiter dans un même espace socio-technique plusieurs régimes de pensée opératoire – pratique, technique, technologie. Les relations entre ces régimes sont interrogées via le cas de la production de terre cuite architecturale (briques, tuiles, carreaux, tuyaux, etc.), des premières sources écrites (XIIIe siècle) au tournant industriel intervenu vers 1870. Il s’agit d’une production largement répandue, généralement libre, concernant aussi bien des produits luxueux que d’usage courant, et soumise à un certain nombre d’enjeux socio-économiques. L’important corpus ouvert – sources manuscrites, imprimées, iconographiques, archéologiques – est interrogé dans une perspective systémique. De fait, les régimes s’avèrent pluriels et interconnectés. Le régime pratique ne pouvait concerner que la chaîne opératoire à proprement parler. Toutes les opérations sortant du strict cadre de celle-ci, permettant notamment de mobiliser le complexe technique nécessaire à la production, supposaient un dialogue avec des acteurs tiers et, en conséquence, la mise en place de normes – écrites ou orales, officielles ou officieuses, explicites ou tacites – permettant l’intercompréhension par-delà des topiques de pensées différentes voire divergentes. Plus nettement techniques encore étaient les traités aux XVIIIe et XIXe siècles. Les pensées sous-jacentes étaient là aussi plurielles. Qu’ils aient été encyclopédistes non spécialistes recopiant des textes plus ou moins pertinents, ou ingénieurs militaires ou civils répondant à des commandes éditoriales, peu d’auteurs cherchaient réellement à décrire la pratique commune. Une approche « scientifique » se dessina quelque peu dans la décennie 1840 avec Alexandre Brongniart, mais ce furent les nouveautés techniques, intéressant particulièrement le lectorat, qui constituèrent le socle des publications postérieures. Les rédacteurs se tournèrent alors vers la littérature périodique spécialisée. Or, celle-ci servait en premier chef, avec les expositions ou encore les concours, de moyen de communication pour des inventeurs soumis à une forte concurrence. De nouvelles filières techniques apparurent dans les années 1830-1850 lorsque certains, abandonnant une logique de mécanisation de la pratique, commencèrent à penser de manière « technologisante », à défaut de réellement technologique. Toutefois, seuls les quelques-uns qui purent et surent s’insérer efficacement dans ce réseau – ou soussystème – sociotechnique parvinrent à faire largement connaître leurs productions, et à attacher leurs noms à l’innovation.
Mots clés : histoire des techniques, pensée opératoire, pratique, technique, technologie, systémique, terre cuite architecturale, brique, tuile
The Art of the Brickmaker, 13th-19th centuries. From practice regime to technique regimes
Abstract
Actors of society do not all conceive the same technique in the same way. The craftsman, the scientist, the engineer, but also the investor, the administrator or the client, appeal to different thought patterns, making several modes of operational thinking – practice, technique, technology – coexist in the same socio-technical space. Relationships between these regimes are questioned through the case of architectural terracotta production (bricks, roofing and paving tiles, pipes, etc.), from the first written sources (thirteenth century) to the industrial turnaround that took place around 1870. It is a widespread production, generally free, concerning both luxury and everyday products, and subject to socioeconomic issues. The large open corpus – manuscript, printed, iconographic, archaeological sources – is questioned from a systemic perspective. In fact, regimes are plural and interconnected. The practical regime could only concern the operational sequence itself. All operations outside this strict framework, making possible particularly the mobilization of the technical complex necessary for the production, suppose a dialogue with third actors and, consequently, the establishment of standards – written or oral, official or unofficial, explicit or tacit – allowing intercomprehension beyond different or even divergent thoughts. Treaties of the eighteenth and nineteenth centuries were even more clearly technical. Underlying thoughts were here too plural. Whether non-specialist encyclopedists copying more or less relevant texts, or military or civilian engineers responding to editorial commissions, few authors really sought to describe the common practice. A « scientific » approach took shape somewhat in the 1840s with Alexandre Brongniart, but technical innovations, of particular interest to the readership, formed the basis of subsequent publications. Editors then turned to specialized periodical literature. However, this was primarily used, with exhibitions and competitions, as a mean of communication for inventors subjected to strong competition. New technical fields appeared in the 1830s-1850s when some, abandoning a logic of mechanization of the practice, began to think in a « technological-ish » way, even if not truly technological. However, only the few who could and did successfully fit into this sociotechnical network – or sub-system – managed to make their productions widely known, and to attach their names to innovation.
Keywords: history of technology, operational thinking, practice, technique, technology, systemic, architectural terracotta, brick, tile