séminaire EHESS/HASTEC 2016-2017
Organisé par
Nathalie Luca, directrice de recherche au CNRS (CéSor) et
Anne-Sophie Lamine, professeure (Université de Strasbourg, DynamE)
Thème : « Filmer le croire musulman : esthétique, éthique et témoignage. Analyse d’un festival français de courts métrages »
Cet exposé s’appuiera sur l’analyse pragmatiste d’une soixantaine de vidéos présentées lors des deux premières éditions du festival français musulman de court-métrage musulman, les Mokhtar Awards ainsi que l’observation des débats, et des entretiens avec des réalisateurs, membres du jury et spectateurs. Le festival est international, mais 90 % des réalisations sont françaises. Selon le règlement, les participants, amateurs, semi-professionnels et professionnels, s’engagent à respecter « les limites liées à une éthique musulmane ». Cette dernière se décline dans toute une gamme d’acceptions incluant la religion comme art de vivre, le comportement « hallal » (licite) ou la dimension universelle de valeurs humanistes/religieuses. Les mises en oeuvre vont de « catéchismes » mis en image à des réalisations qui aurait leur place dans tout festival non religieux. Les deux journées de projection de la seconde édition offrent un espace de discussion des oeuvres présentées, entre le public, le jury, les réalisateurs et les organisateurs. J’analyserai la dimension visuelle d’un « faire croire » islamique contemporain : quels éléments du croire sont mis en avant ? Comment sont-ils représentés ? Quelles sont les modalités esthétiques, militantes, documentaires, fictionnelles ? Quelles sont les thématiques privilégiées ? Dans l’analyse de la performativité des images, on sera attentif à la place des métaphores (anges, nature…), aux gestes mis en scène (écriture, prière…), au rôle des répétitions (reconnaissance), au jeu du particulier et de l’universel (accent sur la conversion ou sur l’éthique), au choix de l’explicite ou de l’implicite et au recours à l’humour (la fiction primée met en scène les surenchères hilarantes de deux hommes jouant au plus pieux).
Quand : Vendredi 2 juin 2017 – de 15h à 18h
Où : CeSor : salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris
1er vendredi du mois de 15h à 18h (salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris)
du 2 décembre 2016 au 2 juin 2017. Séances supplémentaires de 10h à 13 h puis de 15h à 18h le 16 juin 2017
Plus d’infos : Programme du séminaire
Le séminaire poursuit l’exploration du croire dans le religieux (christianismes, islams, nouveaux mouvements religieux…) et à ses frontières (milieux entrepreneuriaux, artistiques ou politiques) et s’inscrit dans le cadre des activités menées par le programme collaboratif « Les techniques du (faire) croire » du Laboratoire d’excellence Hastec, « Histoire et anthropologie des savoirs, des techniques et des croyances ». Les questions posées traversent et dépassent le champ religieux, portant sur les notions de choix, de vocation, d’ambition, de désir ou de pouvoir. La notion de vocation n’est pas propre à la vie religieuse. Des professionnels issus de domaines d’activités différents justifient également leur engagement dans leur métier en terme de vocation. D’autres au contraire estiment que la société, en accolant à leur profession la notion de vocation, les prive d’une reconnaissance professionnelle méritée et légitime leur faible salaire. Dans tous les cas, l’idée de vocation paraît s’opposer à celle de choix. La première semble s’articuler avec la notion de foi ou d’appel, elle renvoie à une extériorité du sujet, la seconde avec celle de responsabilité et de rationalité ancrée à l’intérieur du sujet. Le choix et la vocation se construisent en tension, mais ces deux notions peuvent être utilisées par les mêmes individus qui pourront à la fois revendiquer le choix et la vocation, ou au contraire prétendre à un choix sans vocation ou encore à une vocation au-delà de tout choix. C’est sur l’articulation entre ces deux termes, entre raison et émotion, extériorité et intériorité, responsabilité et conviction, et sur la façon dont ceux-ci rencontrent les notions de foi, de passion, d’ambition et de responsabilité que se consacrera une partie de notre séminaire mensuel en explorant notamment des portraits filmés d’artistes, d’entrepreneurs ou d’architectes. En 2015-2016, l’analyse de courts-métrages réalisés avec des moines trappistes, a révélé plusieurs éléments qui peuvent être interprétés en termes de dressage du corps et de l’esprit (développement des sens et du jugement esthétique ; travail manuel et intellectuel ; temps de pause, silence, etc.) qui disent ensemble ce qu’est leur Dieu et le présentifient. Qu’est ce que la vocation, le désir, la foi présentifient lorsqu’ils s’expriment dans des sphères d’activité où l’individu se dit maître de son engagement ? Par quoi alors est-il agi ? Quels sont les « non humains » (valeur, objet, instrument, etc.) qui l’animent ? Quel héritage la religion a-t-elle laissé en termes d’attitude ou de contenu de croyance ? Comment se traduit l’ivresse de la foi dans un monde sécularisé, et se saisit le conatus cher à Spinoza, force d’exister, élan vital de l’individu mu par le désir ?
L’autre grande thématique de ce séminaire abordera le croire en l’articulant aux notions de pouvoir, de corps et d’émotions. En plus de l’approche pragmatiste de John Dewey déjà abordée en 2015-2016, nous discuterons de celle de Talal Asad et de chercheurs qui s’en inspirent. Ces approches seront mobilisées pour analyser des modes de vie et des engagements de croyants musulmans en France et en Europe, dans une perspective comparative avec d’autres types d’engagements, religieux ou non.