séminaire EHESS/HASTEC 2016-2017
Organisé par
Nathalie Luca, directrice de recherche au CNRS (CéSor) et
Anne-Sophie Lamine, professeure (Université de Strasbourg, DynamE)
Thème : « Jeux de pouvoir sur le croire. Talal Asad et ses successeurs »
Les apports de Talal Asad ainsi que de plusieurs chercheurs s’inscrivant dans son sillage ou s’en inspirant (Mahmood, Fadil, Marzouki, Jouili, Fernando…) seront discutés en les inscrivant dans la problématique plus large des jeux de pouvoir sur le croire, et en prenant appui sur des cas empiriques. Schématiquement, si l’on considère dans un premier temps, le pouvoir exercé par les institutions religieuses et plus largement par le groupe, on pourrait considérer que la position de l’individu varie entre « c’est trop » et « c’est ok, c’est structurant ». Cela représente effectivement à une extrémité la situation de ceux qui quittent leur affiliation et à l’autre celle de ceux qui considèrent que la communauté et son organisation sont nécessaires. Les normes religieuses constituent un ensemble (hétéroclite) de « structures de plausibilité » (Berger et Luckmann, 1966) dans lequel puisent, de manière sélective, des croyants de sensibilités qui peuvent être fort diverses. Elles sont donc partie prenante de la « culture en action » (Swidler, 1986), et constituent des « réservoirs » de sens. Néanmoins, la dichotomie entre le pouvoir des normes religieuses et sociales et l’autonomie ou l’individualisation peut nous empêcher de voir les ajustements, les ruses et les tactiques qui donnent à l’individu sa part de créativité et de liberté (Certeau, 1980), y compris dans des situations qui semblent fortement contraintes. On discutera donc des formes de puissance d’agir (Mahmood, 1995) dans ces situations, ainsi que des risques inhérents aux catégorisations de religion ordinaire et intensive. Il est cependant un autre type de rapport de pouvoir, qui peut demeurer un point aveugle, c’est celui de la définition de la religion (Asad, 2003). Il s’agit là de réfléchir à ce qui est considéré que une religion (ou un mode de croire) socialement acceptable dans un contexte donné, comment cette définition – souvent implicite – s’est constituée. Il s’agit aussi d’être attentif à ce que ce pouvoir de définition, normatif lui aussi, induit concrètement sur l’acceptabilité des formes de pratiques liées à des religions minoritaires.
Quand : Vendredi 5 mai 2017 – de 15h à 18h
Où : CeSor : salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris
1er vendredi du mois de 15h à 18h (salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris)
du 2 décembre 2016 au 2 juin 2017. Séances supplémentaires de 10h à 13 h puis de 15h à 18h le 16 juin 2017
Plus d’infos : Programme du séminaire
Le séminaire poursuit l’exploration du croire dans le religieux (christianismes, islams, nouveaux mouvements religieux…) et à ses frontières (milieux entrepreneuriaux, artistiques ou politiques) et s’inscrit dans le cadre des activités menées par le programme collaboratif « Les techniques du (faire) croire » du Laboratoire d’excellence Hastec, « Histoire et anthropologie des savoirs, des techniques et des croyances ». Les questions posées traversent et dépassent le champ religieux, portant sur les notions de choix, de vocation, d’ambition, de désir ou de pouvoir. La notion de vocation n’est pas propre à la vie religieuse. Des professionnels issus de domaines d’activités différents justifient également leur engagement dans leur métier en terme de vocation. D’autres au contraire estiment que la société, en accolant à leur profession la notion de vocation, les prive d’une reconnaissance professionnelle méritée et légitime leur faible salaire. Dans tous les cas, l’idée de vocation paraît s’opposer à celle de choix. La première semble s’articuler avec la notion de foi ou d’appel, elle renvoie à une extériorité du sujet, la seconde avec celle de responsabilité et de rationalité ancrée à l’intérieur du sujet. Le choix et la vocation se construisent en tension, mais ces deux notions peuvent être utilisées par les mêmes individus qui pourront à la fois revendiquer le choix et la vocation, ou au contraire prétendre à un choix sans vocation ou encore à une vocation au-delà de tout choix. C’est sur l’articulation entre ces deux termes, entre raison et émotion, extériorité et intériorité, responsabilité et conviction, et sur la façon dont ceux-ci rencontrent les notions de foi, de passion, d’ambition et de responsabilité que se consacrera une partie de notre séminaire mensuel en explorant notamment des portraits filmés d’artistes, d’entrepreneurs ou d’architectes. En 2015-2016, l’analyse de courts-métrages réalisés avec des moines trappistes, a révélé plusieurs éléments qui peuvent être interprétés en termes de dressage du corps et de l’esprit (développement des sens et du jugement esthétique ; travail manuel et intellectuel ; temps de pause, silence, etc.) qui disent ensemble ce qu’est leur Dieu et le présentifient. Qu’est ce que la vocation, le désir, la foi présentifient lorsqu’ils s’expriment dans des sphères d’activité où l’individu se dit maître de son engagement ? Par quoi alors est-il agi ? Quels sont les « non humains » (valeur, objet, instrument, etc.) qui l’animent ? Quel héritage la religion a-t-elle laissé en termes d’attitude ou de contenu de croyance ? Comment se traduit l’ivresse de la foi dans un monde sécularisé, et se saisit le conatus cher à Spinoza, force d’exister, élan vital de l’individu mu par le désir ?
L’autre grande thématique de ce séminaire abordera le croire en l’articulant aux notions de pouvoir, de corps et d’émotions. En plus de l’approche pragmatiste de John Dewey déjà abordée en 2015-2016, nous discuterons de celle de Talal Asad et de chercheurs qui s’en inspirent. Ces approches seront mobilisées pour analyser des modes de vie et des engagements de croyants musulmans en France et en Europe, dans une perspective comparative avec d’autres types d’engagements, religieux ou non.